Femmes d'Argentine - Documentaire de Juan Solanas
Buenos Aires, la capitale fédérale de l'Argentine, est à l'aube d'une décision historique du Congrès de la Nation Argentine. Nous sommes le 14 juin 2018 et après 23 heures de débats éreintants, la Chambre des députés adopte le projet de loi sur l'avortement libre et gratuit, mais pas encore le Sénat, qui est la dernière instance à devoir l'approuver.
Que Sea Ley !
La députée Silvia Gabriela Lospennato prononce un discours combatif pour un avortement sûr, libre et gratuit. Le ton est pugnace et offensif.
Toute la nation argentine est concernée par le débat. La population est sur le gril d'une décision qui pourrait enfin récompenser des années de lutte sociale, et le mouvement féministe au foulard vert (symbole du droit à l'avortement) est à pied d'oeuvre pour manifester dans la rue.
Plus d'un million de personnes se réunissent devant le Congrès : des députées, des étudiantes, et les féministes de la batucada des TumMbandas aux tambours retentissants. La rue a les pleins pouvoirs.
Toutes unies dans la lutte, les militantes pour le droit à l'avortement demandent une loi pour protéger et garantir la santé des femmes, afin qu'elles puissent avoir une pleine autonomie et la liberté de choisir. Les marches contestataires se multiplient, l'Etat est mis en cause et accusé d'irresponsabilité pour avoir perpétué durant des décennies un système clandestin, où de nombreuses femmes, souvent pauvres et vulnérables car livrées à elles-mêmes, ont perdu la vie pour avoir avorté illégalement.
Des hommages leurs sont rendus. Il y a le témoignage poignant de la famille de Liliana, mère de deux filles et décédée des suites d'un avortement clandestin pour n'avoir pas été prise en charge par les médecins, qui l'ont punie et ne l'ont pas opérée volontairement.
Avorter demeure une pratique à risque qui nécessite d'être encadrée
En Argentine, avorter a toujours été considéré comme un délit passible de prison. Les médecins étaient formés à punir l'avortement, à mettre en place une procédure de dénonciation en faisant passer les femmes désireuses d'avorter pour des criminelles.
Aujourd'hui, la réalité est qu'il y a beaucoup trop de morts : cette pratique doit être encadrée. Le réalisateur Juan Solanas, qui réalise ici son premier documentaire, donne la parole à tous les acteurs de cette lutte pour le droit à l'avortement, à Buenos Aires comme dans les provinces argentines.
Les chiffres sont accablants : 33% de la population vit sous le seuil de pauvreté, il y a 18% de grossesse infantile. Des moyens doivent être mis en oeuvre par l'Etat pour soutenir et guider les femmes seules, tels que des réseaux d'accompagnement. Avorter ne doit plus être synonyme de risque pour les femmes, d'autant plus qu'elles subissent une grande violence, physique comme mentale, qui a des lourdes conséquences sur leur santé. Comme le rappelle le gynécologue Mario Sebastiani, l'acte d'avorter est une décision responsable tout comme celle d'avoir un enfant.
Au coeur de ce débat, les opposants à la loi, les pro-vie et l'église évangéliste ont une forte influence dans la société.
Le féminisme comme manière d'être et de penser
Dans la dernière partie du documentaire, le réalisateur se focalise sur le mouvement féministe qui a pris de l'ampleur ces trois dernières années, ce bel élan militant d'une partie de la jeunesse argentine engagée dans la lutte pour une plus grande justice sociale. La libération de la parole des femmes s'accompagne d'une volonté d'éradiquer le patriarcat, qui n'est que culturel et qui en Argentine a toujours été soutenu par l'Eglise. Les nouvelles générations cultivent l'héritage de leurs aînées par la volonté de transformer la société en dénonçant la subordination des femmes.
Le documentaire se clôt sur la déception des combattantes suite au rejet du Sénat du projet de loi sur l'avortement en juin 2018. C'est un revers pour les féministes qui poursuivent malgré tout leurs combats.
Depuis, la Nation argentine a élu un nouveau président, Alberto Fernandez, qui a fait du droit à l'avortement l'un de ses chevaux de bataille.
Fin 2020, le projet de loi prend une nouvelle tournure puisque la Chambre des députés adopte un texte visant à légaliser l'avortement, avec possibilité d'avorter jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse. Reste la décision du Sénat d'entériner ce projet de loi. Réponse en janvier 2021 !
Sabrina Piazzi