Le Visiteur d'Eric-Emmanuel Schmitt : un visiteur pas comme les autres
Dernière mise à jour : 29 déc. 2021
En cette rentrée théâtrale, le théâtre Rive Gauche propose à l'affiche Le Visiteur d'Eric-Emmanuel Schmitt (son propriétaire n'est autre que l'auteur et dramaturge).
Il s'agit d'une création 2021 montée par la jeune et talentueuse Johanna Boyé (on lui doit notamment Les Filles aux mains jaunes et Est-ce que j'ai une gueule d'Arletty ?) et qui a déjà triomphé au dernier festival d'Avignon.
Le Visiteur est pour Johanna Boyé la pièce qui lui a donné envie de faire du théâtre et de devenir metteure en scène.
La pièce pose le sujet de l'existence de Dieu et si c'est le cas, sur son inaction face aux atrocités du monde comme celles perpétrées par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.
Une question existentielle et philosophique posée par l'auteur qui décide de faire rencontrer Freud, qui à l'automne de sa vie est harcelé par un officier nazi dans son cabinet à Vienne, avec un mystérieux visiteur.

Quel est donc ce visiteur ? Dieu ou un fou échappé de l'asile ?
Là est toute la question qui laisse Freud dans le trouble et par la même occasion le spectateur (et ce jusqu'à la fin).
La pièce se déroule en une nuit dans le cabinet de travail de Freud. Un jeu de mystère va naître avec les apparitions et les disparitions de cet énigmatique visiteur. Le personnage de Freud est-il plongé dans une hallucination passagère ? Est-ce le fruit de son inconscient ?
Le dialogue, finement écrit par Eric-Emmanuel Schmitt, entraîne le spectateur dans un débat éthique entre deux visions du monde qui s'opposent. De grandes questions existentielles surgissent ici : qu'est-ce qu'être juif ?
Avec beaucoup d'humour, Schmitt s'amuse de ces questions et élargit la réflexion sur le concept de la différence de l'autre.
Avec esprit et finesse, l'auteur, au travers du personnage de Freud, pose aussi la question éthique de fuir pour échapper aux nazis et en même temps corrompre son intégrité, ou bien rester par solidarité avec ses camarades et risquer l'étoile jaune et les camps.

Les quatre comédiens sont excellents de vérité et de talent. Leur jeu est le deuxième ingrédient, après l'écriture d'Eric-Emmanuel Schmitt, qui fait la réussite de cette pièce. Freud est interprété par un Sam Karmann complètement habité par son personnage et avec humilité et justesse, il se met au service du texte, comme le font les grands comédiens. Face à lui, dans la peau de ce mystérieux visiteur, Franck Desmedt virevolte, lévite. Avec dextérité et agilité, il joue au trublion ou trouble-fête à merveille.
Maxime de Toledo en officier nazi est un choix judicieux et pertinent de la distribution.
Dans le rôle d'Anna, la fille de Freud, Katia Ghanty est pleine d'énergie, de dynamisme et dotée d'une belle présence. Elle donne parfaitement le change à ses partenaires et notamment à Sam Karmann incarnant son père.
En somme, les comédiens forment un quatuor homogène servant avec talent le texte plein d'esprit de l'auteur.

Quant à la mise en scène, que dire si ce n'est que par sa sobriété, son efficacité et sa précision, elle permet à ses comédiens de parfaitement jouer leur partition dans une grande fluidité, mettant de surcroît en exergue les mots d'Eric-Emmanuel Schmitt et l'intrigue de la pièce.
Le Visiteur au théâtre Rive Gauche se joue jusqu'au 17 décembre prochain. Du beau et grand théâtre de qualité que nous offre ici Johanna Boyé avec un texte magnifique et des comédiens hors pair.
Distribution :
Katia Ghanty
Maxime de Toledo
Franck Desmedt
Sam Karmann
Informations : www.theatre-rive-gauche.com
Cédric Cilia
