Peter von Kant de François Ozon : Fassbinder revisité !
François Ozon signe une adaptation libre de l’œuvre théâtrale Les Larmes amères de
Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, principalement en inversant les genres des
personnages.
L’univers de Fassbinder est particulier et n’est pas forcément accessible à tous. Influencé
par divers cinéastes tels que Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Melville, Eric
Rohmer, John Huston, Howard Hawks mais surtout Douglas Sirk, le cinéaste allemand a
une démarche artistique singulière. Il ne distingue pas, par exemple, les techniques
théâtrales du cinéma ; on le voit parfaitement dans le "Peter von Kant" de François Ozon.
Ce dernier s'est librement approprié l’œuvre de Fassbinder, qu'il a toujours considéré
comme son grand frère de cinéma ; il ne lui en est pas moins fidèle.
Fassbinder lui-même avait déjà porté à l'écran sa pièce de théâtre en 1972.
Tout est là pour nous rappeler son univers : les personnages ultra colorés
enfermés dans un huis clos racontant une histoire de désir, les jeux de domination /
soumission, le pouvoir, la sexualité ambiguë (le personnage principal, à l’image de
Fassbinder, est bisexuel).

Nous pouvons, à bien des égards, faire un parallèle évident avec la pièce de théâtre de
l'auteur, "Gouttes d’eau sur pierres brûlantes", qu'Ozon avait déjà parfaitement adapté
sur grand écran en 2000.
Les acteurs sont admirablement dirigés et incarnés. Denis Ménochet explose en Peter
von Kant, il s'abandonne entièrement à son personnage haut en couleur de diva drama
queen bouffé par son égo. Son engagement est total et cela fait plaisir à voir. On décèle
la vérité et l'humilité de son jeu. Il surprend et c'est une belle réussite !
Le casting dans son ensemble est particulièrement bien choisi et le jeu de chacun est
homogène et juste. Isabelle Adjani est parfaitement à sa place dans ce rôle d'actrice
constamment en représentation. François Ozon a même demandé à l'actrice fétiche de
Fassbinder, Hanna Schygulla, de jouer dans son film, elle qui avait déjà tourné sous sa
direction en 2021 dans "Tout s'est bien passé", mais surtout qui faisait partie de la
distribution des "Larmes amères de Petra von Kant" de Fassbinder, cinquante ans plus
tôt mais incarnant un autre rôle !

Les jeunes acteurs masculins qui complètent la distribution sont deux belles révélations.
Khalil Gharbia, le jeune éphèbe d'à peine 18 ans lors du tournage dont s'éprend Peter
von Kant, crève l'écran par sa sensualité naturelle, son assurance à la limite de
l'insolence, une certaine nonchalance et un sex-appeal indéniable.
Il a une très belle présence pour sa première fois à l’écran.
L’autre grande performance d'acteur est celle de Stefan Crepon, 25 ans, que l'on a pu voir
dans la série "Le Bureau des légendes" ou au cinéma dans "Les Promesses" avec
Isabelle Huppert. Ici, Stefan Crépon campe un personnage présent et extrêmement
important mais qui reste muet tout du long jouant uniquement avec ses regards, ses
attitudes et ses expressions physiques et corporelles d’une bien subtile manière. Une
performance à souligner !

Le rythme du film est assez étrange car on a parfois la sensation que François Ozon a
tourné en accéléré ! Il peut même être assez surprenant, voire déranger, mais il sert
simplement et parfaitement l’esprit de Rainer Werner Fassbinder ainsi que le propos de
cette histoire de relations amicales et amoureuses biaisées et toujours régies par un
rapport de pouvoir et de domination / soumission à l’excès.
Le dernier film en date que nous offre François Ozon nous plonge dans cet univers si
particulier et unique de Fassbinder avec pertinence, plaisir, précision et justesse. En cela
c'est un film réussi !
En salles le 6 juillet 2022.
Cédric Cilia
