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The Normal Heart : rencontre avec Virginie de Clausade et Dimitri Storoge

Dernière mise à jour : 24 mars 2022


Fort de son succès au théâtre du Rond-Point à l'automne 2021, la pièce de Larry Kramer


"The Normal Heart" est de nouveau à l'affiche depuis le 20 janvier au Théâtre La Bruyère


à Paris. Elle y restera jusqu’au 7 avril.

Larry Kramer n'est pas seulement l'auteur de cette pièce majeure qu’il crée en 1985, mais


aussi le fondateur de l'association "Act Up" en 1987. Toute sa vie, il aura été un fervent


militant de la lutte contre le sida.

"The Normal Heart" retrace les débuts de l'épidémie du sida à New York. Il s'agit d'une


pièce réaliste qui présente une version fictive de l’organisation "Gay Men's Health Crisis"


au début de l'épidémie, avant la création d'Act-Up. Larry Kramer crée son double avec le


personnage principal de Ned Weeks.

Pour la première fois, la pièce est jouée en France et c'est en grande partie grâce à


Virginie de Clausade qui en signe la mise en scène. Afin de parler au mieux de cette


pièce puissante et utile, j’ai eu le plaisir de rencontrer Virginie de Clausade accompagnée


du comédien principal Dimitri Storoge qui incarne Ned Weeks. Ils ont eu la gentillesse


de répondre à quelques questions.





VIRGINIE DE CLAUSADE


Bonjour Virginie, peux-tu en quelques mots nous parler de ton parcours ?


Je suis née et j’ai grandi à Paris, j’ai été longtemps animatrice TV sur TF1 et Paris Première, puis en radio. Je suis devenue auteure et à présent j’ai une nouvelle corde à mon arc, celle de metteure en scène ! "The Normal Heart" est la première pièce que j’adapte et que je monte. J’ai écrit 5 romans et mon sixième "Femmes de porcelaine" vient de sortir.



Comment t’es venue l’idée de monter "The Normal Heart"? Connaissais-tu déjà la version originale et Larry Kramer, l'auteur de la pièce ?


Non, pas du tout ! J’ai écrit une biographie du virus du sida au travers des dernières années de vie de Thierry Le Luron. Je me suis documentée sur la communauté homosexuelle au début de l'épidémie. J’ai découvert Larry Kramer et son premier roman "Faggots", qui avait fait scandale à l'époque, dans lequel il lève le voile sur les mœurs de la communauté gay aux Etats-Unis dans les années 70. Dès 1980, on commence à parler d’un "cancer gay", plusieurs de ses amis et connaissances meurent, le nombre de décès augmente rapidement sans que personne ne fasse rien. La pièce raconte la nécessité de l’engagement lorsqu’on est vivant et l’impossibilité totale de déléguer sa survie à qui que ce soit. Et ça ce n’est pas du tout un message propre à l’année 1981, c’est toujours en cours.

Ce que je trouve extraordinaire dans cette histoire est le travail de fiction qu’a fait Larry Kramer ne sachant rien de ce qui allait se passer. La pièce a une image incroyable de modernité. La colère est l’étincelle de Larry Kramer.



Est-ce que tu te reconnais dans l’un des personnages ?


En fait, quand j’ai découvert Larry Kramer, je me suis dis que cet homme était génial. La colère est une étincelle et on a raison d'être en colère. Personnellement, je me sens très française, je pratique l'humour, le second degré, l’esprit d’à-propos, le cynisme, l’auto-dérision. Mais en France, la colère n'est pas une émotion que l’on gère très bien, c'est vulgaire surtout quand on est une femme, où dans ce cas là, la colère est tout de suite assimilée à de l’hystérie. En cela, il m’a vraiment déculpabilisée d'être vénère !



Il y a eu un film de réalisé, l’as-tu vu ?


Oui mais je préfère ma version de la pièce. C’est exactement le même texte mais Ryan Murphy, le réalisateur, a mis l’histoire d’amour au premier plan sur fond de pandémie.



Tu évoquais les femmes, tu te sens féministe ?


Je méprise l’intégralité des gens qui ne se sentent pas féministe. Si on détruit les mécanismes oppressants sur le sexe féminin, il n’y a aucun autre mécanisme oppressif qui ne peut fonctionner. Derrière le féminisme, c’est l’intégralité des "causes perdues" qui peuvent être sauvées. Le seul personnage féminin est le Dr Emma Brookner dans la pièce, clouée dans un fauteuil car elle est atteinte de polio. Méprisée de tous, elle a été la seule à se battre au début de l'épidémie auprès de Larry Kramer afin d’aider et secourir les premiers malades. Elle a évidemment un rôle fondamental ! Malheureusement, elle est décédée avant l’arrivée de la trithérapie.


Crédit photo : Virginie de Clausade

Qu’en est-il de l’engagement de la communauté lesbienne ?


La pièce, justement, raconte aussi les nombreuses dissensions au sein même de la communauté. Toutefois, les lesbiennes ont marché main dans la main avec les gays dans la lutte contre l'épidémie. La communauté gay a beaucoup aidé à ce qu’on reconnaisse les symptômes du sida chez les femmes en général, comme le cancer de l’utérus.

Aujourd'hui, beaucoup de femmes se battent encore pour l’adoption de médicaments de trithérapie au niveau des dosages, car le corps de la femme ne réagit pas de la même façon aux médicaments. Comme pour toutes les pandémies, on a appris qu’il n'y a qu’une seule chose qui marche, c’est : l’union fait la force. La notion d’intime a changé. A l'époque, il n’y avait pas de raison de révéler son orientation sexuelle car cela aurait été de révéler un pan de son intimité.


Le personnage de Ned Weeks est un auteur connu et reconnu, donc évidemment ça aide à être libre, contrairement au personnage de Bruce (Andy Gillet) qui n’est pas sûr de vouloir assumer publiquement le fait d être gay. C’est une question d'époque. Poser un acte demande de la confiance en soi et ce n’est pas à portée de tout le monde !


J’ai rencontré Eric Maillard qui avait acheté les droits de la pièce par le biais d un ami commun. J’ai traduis la pièce. Au départ, ce n’est pas moi qui devait faire la mise en scène, j’en avais jamais fait. On part donc à la recherche d’un metteur en scène mais comme on ne le trouvait pas et que j’étais soutenue par les comédiens, je me suis lancée ! Le projet a été immédiatement pris à bras le corps par Dimitri (Dimitri Storoge) qui s’est naturellement imposé pour incarner le rôle de Ned Weeks.



Comment tu as constitué la distribution justement ?


J’ai traduit la pièce en pensant à Andy Gillet car je pensais que l'opposition sur scène avec Dimitri allait très bien fonctionner. Quant à Dimitri, il est selon moi l’un des meilleurs comédiens français. Peu à peu, le casting s’est créé avec des gens de nos cercles qui sont venus faire des lectures. Le projet a mis 4 ans à se monter ! Lors d’une lecture, Jean-Michel Ribes était présent, a beaucoup aimé et c’est à ce moment-là qu’il nous a dit qu’il voulait nous programmer dans son théâtre. Il nous a permis de naître. On a été programmés au théâtre du Rond-Point en septembre 2021 et ça a marché assez vite !

Le succès tient beaucoup au texte qui, selon moi, est un très grand texte classique du théâtre anglo-saxon. La pièce est certes pour la première fois jouée en France, mais depuis longtemps elle est jouée partout dans le monde. Et pour moi ça manquait à la scène française.

Crédit photo : Virginie de Clausade

Fais-tu un parallèle avec notre situation actuelle du Covid ?


Oui bien-sûr, le Covid a amené une compréhension à un autre endroit pour le projet, ça l’a enrichi, aussi fou que cela puisse paraître !



Quel est l'après ?


On essaye de monter une tournée. Il est fort possible qu’on joue en décembre à Monaco pour les 20 ans de l’association de Stéphanie de Monaco. A titre personnel, j’ai un autre texte que je suis en train de préparer et d’essayer de monter.



Merci Virginie !


Merci à toi, c’était cool !




DIMITRI STOROGE



Présentes-nous le comédien Dimitri Storoge ?

Je suis un comédien d’images mais j’avais très envie de revenir au théâtre. J’ai suivi une


formation d'art dramatique puisque j’ai fait le conservatoire. A ma sortie, j’ai rapidement


tourné dans des films.


Pour toi, c’est le même métier acteur de cinéma et comédien de théâtre ?

Je ne sais jamais comment répondre à cette question car j’ai l’impression que ce n’est


jamais le même métier, même d’un projet à l’autre, que ce soit au cinéma ou au théâtre.


J’ai moi-même fait des choses très différentes. Dans le projet "The Normal Heart", j ai été


investi dès le départ, je l’ai porté un peu plus que les autres peut-être.


Quelles sont les autres pièces dans lesquelles tu as joué?

Il y a deux, trois ans, j’avais joué dans "La Révolte" d’Auguste de Villiers de L'Isle-Adam.


Comment est venu à toi le projet "The Normal Heart" et est-ce que tu connaissais


l’histoire?

Non, je ne la connaissais pas, c’est Virginie de Clausade qui m’en a parlé, j’ai trouvé ça


formidable. Du coup, on s’est lancés immédiatement dans le projet et rapidement le


personnage de Ned s’est imposé à moi.


Pourquoi as-tu dit oui ?


La question ne s’est même pas posée pour moi, c’est une pièce magnifique. L’histoire m’a


touché. J’ai grandi et vieilli avec le sida. Mon personnage, Ned, ainsi que tous les autres


finalement, sont extrêmement intéressants.


Connaissais-tu tes partenaires de jeu auparavant ?


Je connaissais Jules Pelissier car on avait tourné un téléfilm ensemble sur Molière. Je


connais très bien Michaël Abiteboul, c’est un ami. Je connaissais un peu le travail d'Andy


Gillet. La chimie s’est fait rapidement entre nous tous.


Est-ce que c’est la première fois que tu es dirigé par une femme ?


Non c’est la troisième et j’aime bien ça ! Ce n’est pas du tout la même chose !


Crédit photo : Virginie de Clausade

Comment as-tu abordé le personnage de Ned ?

J’ai regardé des vidéos. Ned Weeks est l’extension de Larry Kramer, l’auteur de la pièce


qui nourrit en permanence une colère en lui et son personnage de surcroît.


La pièce traite des prémices de l’épidémie du sida et il est le seul de la communauté


homosexuelle à dire qu’il faut se calmer sur le sexe, ne pas baiser dans tous les sens.


C’est quelque chose qu’il avait déjà évoqué dans son livre précédant, Faggots, comme


quoi la communauté homosexuelle ne peut pas se limiter qu’à ça !

Bizarrement, j’ai l’impression aujourd’hui encore que l’un des métiers où il est plus difficile


d’être gay, c’est le métier d’acteur.


J’ai le sentiment qu’il y a une peur d’être catalogué et de n’obtenir que des rôles de gay


par la suite, alors qu’un banquier homosexuel ça paraît plus simple aujourd’hui.


En même temps, j’ai la sensation que des portes s’ouvrent avec la jeune génération et


c’est tant mieux !


Personnellement, ça m’emmerde qu’on prenne un gay pour jouer un rôle de gay ; c’est le


travail de l’acteur de pouvoir tout jouer et c’est bien comme ça !

Comment vis-tu cette formidable aventure "The Normal Heart" depuis le démarrage au


Rond-Point à l’automne 2021 ?

C’est formidable ! Jean-Michel Ribes a été super car il a accepté le projet et toute


l’équipe telle qu’elle était. On avait fait plein de lectures avec plusieurs directeurs de


théâtre et c’est le premier et le seul à nous avoir accueilli sans changer quoi que ce soit !


On est en ce moment au Théâtre La Bruyère et la différence réside essentiellement et


objectivement dans le public, qui est différent parce qu’on est passés d’un théâtre public


à un théâtre privé.


Y a-t-il des associations qui sont venues ?

Oui, plein ! Des personnes d’Act Up, etc.

As-tu d’autres projets par la suite ?


Pas immédiatement. J’ai des sorties de films , "Notre-Dame Brûle" de Jean-Jacques


Annaud, une série de science-fiction pour Disney +, "Parallèles" (sortie le 23 mars) et un


film avec Omar Sy, Laurent Lafitte et Izia Higelin pour Netflix, "Loin du périph" (sortie le 6


mai 2022) réalisé par Louis Leterrier.

La générosité de Virginie et Dimitri nous permettent de rentrer dans l'univers de "The


Normal Heart" et il n’est pas nécessaire d'en dire plus si ce n'est de vous inviter vivement


à aller voir cette pièce programmée au Théâtre La Bruyère à Paris jusqu'au 7 avril.



Propos recueillis par Cédric Cilia





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